Mustapha El Atrassi (l'arbre) et le muslim stand up (la forêt)
El Atrassi, rejeton de l'école Kader Aoun ?
On s’est beaucoup ému, cette semaine, de la saillie de Mustapha El Atrassi sur les "gwers”, ces Blancs/mécréants que tout musulman se doit d’insulter. Rien de vraiment nouveau, pourtant. “Salut les Blancs !” clamait déjà Fary en déboulant sur scène lors des Molière 2019, avant d’ironiser sur le racisme anti-blanc qui n'existait pas. Fary, une des têtes de pont de l’humour “racisé”, galaxie allant de Shirley Souagnon à Fadily Camara en passant par Jason Brokkers, et bien d’autres encore dont je t’épargnerai la liste, camarade, tant tout ceci est débilitant
M. El Atrassi capture écran vidéo https://www.facebook.com/watch/?v=715747891392198
La prédication par la blague
Au fil du temps, force fut de constater que ce discours racialiste, tenu sous couvert de “blagues”, renvoyait, en sous-main, à une revendication islamique : Hakim Jemili, Malik Bentalha, Ahmed Sparrow et d’autres moins connus revendiquaient, via la mise en avant de leur arabité, leur appartenance à l’islam, présentée comme une “origine”. L’amalgame entre ethnie et islam étant typique du “din” (terme à tort traduit par religion, désignant l’islam comme système total englobant chaque aspect de la vie, et comme socle de l’identité du musulman), ces comiques ne trompent pas sur la marchandise : ce sont avant tout des identitaires en mission de prédication.
Cela fait des années que la quasi totalité des comiques français d'origine orientale, africaine et maghrébine pratique cet “humour” racialo-islamo-tribal, aussi uniforme que prévisible, recyclant immuablement les mêmes gimmicks : un coup sur Zemmour (qui par les temps qui courent sera très vraisemblablement remplacé par Retailleau), un autre sur les Français racistes, une imitation de la mama africaine ou du daron rebeu, un tacle au bobo, nécessairement “blanc” et buveur de rosé, un récit du séjour à New-York-qui-m'a-fait-pour-la-première-fois-me-sentir-français, le tout sur fond de chiale wesh-muslim-en-France-la-vérité-frère-le-seum-wallah. Parallèlement, leurs spectacles se caractérisent par l’absence de ce qui constitue pourtant un des fondamentaux du stand-up : le récit, volontiers trash, de la vie sexuelle de l’artiste. Comme il y a la mode modeste et des chiottes halal (oui), il y a l’humour pudique.
Comment cette pénible litanie est-elle devenue le karma de tout aspirant comique issu de l’immigration ?
Au commencement fut le Jamel comedy club.
À l’origine du stand up français, l’homme qui lança Jamel Debbouze : Kader Aoun. Aoun qui a toujours eu la discrétion pour maître-mot, restant délibérément dans l’ombre, offrant lors de ses rares interviews l’image d’un dandy de la street en mode “represent”. Dans le métier, ceux qui le croisent depuis des années disent ne quasiment rien savoir de lui. En interview, il évoque les éléments factuels de sa biographie : issu d’une famille algérienne, grandi à Bobigny, diplômé de Sciences po, recruté en 1998 par Canal comme auteur. Son nom se médiatise, de façon relative, avec Jamel Debbouze dont il fut le découvreur, l’auteur, l’agent, le coach et l’ami, en mode tribu de quartier. Son âme damnée aussi, selon certains. Découvreur de nombreux talents (Omar et Fred, Eric et Ramzy, Norman entre autres), il lance avec Debbouze le Jamel comedy club, puis ouvre en 2008 le Paname comedy club, où viennent se produire les aspirants stand uppers. Habile : payés au chapeau, les jeunes pousses de l’humour défilent sur scène sans coûter un rond, permettant de repérer sans avoir à chercher ceux sur qui on pourra miser, devenant leur agent, producteur ou quoi ou qu’est-ce. Et pendant ce temps, le public consomme. Un beau modèle économique. Kader Aoun, en plus de ses talents d’auteur et de détecteur de talents, possède un sens avéré des affaires, ce que je ne saurais lui reprocher. Mais ce dispositif, par delà sa dimension économique, permet aussi de modeler à sa main tous ces jeunes gens interchangeables et avides de réussite (donc malléables), en devenant le pivot de leur carrière.
Capture d’écran Info médias
Kader Aoun, dandy ou caïd ?
Une autre facette du personnage se dévoile en 2018, lors de l’affaire Copycomic. Copycomic, dont l’auteur reste à ce jour non identifié, est une chaîne Youtube apparue en 2017 : y était mise en évidence, montage à l’appui, la pratique massive du plagiat dans le monde du stand up. Gad Elmaleh, Tomer Sisley, Jamel Debbouze, entre autres, auraient ainsi tranquillement pompé leurs vannes sur d’autres, essentiellement américains, sans le mentionner et faisant fi du droit d’auteur.
Point commun à la plupart des artistes mis en cause ? Kader Aoun, qui fut leur agent, leur producteur, leur manager, leur co-auteur ou quoi ou qu’est-ce. Rapidement, circule la thèse selon laquelle il serait l’organisateur occulte des plagiats, initiés à la fin des années 90 pour nourrir les sketchs de ses poulains. Aucune preuve n’ayant infirmé ou confirmé la rumeur, je n’en discuterai pas ici la véracité.
L’affaire, néanmoins, a permis de lever le voile sur les coulisses du personnage de dandy à la coule que s’était façonné Kader Aoun. Pour désamorcer la rumeur, celui-ci oriente d’abord les journalistes vers Tomer Sisley : le comique franco israélien prend sur lui toute la responsabilité du plagiat et dédouane explicitement son ex co auteur. Aoun pour autant n’est pas tiré d'affaires. Dans l’émission Envoyé spécial du 22 mars 2018, un jeune stand upper, Mo Maurane, raconte aux reporters de M6 avoir été l’objet d’intimidations et de menaces de sa part. Visiblement, Aoun est persuadé de tenir en sa personne l’auteur de Copy comic. (14’20)
SMS à l’appui, Mo Maurane expose publiquement la part d’ombre du père du stand up français, qui l’a intimidé, menacé de mort physique et professionnelle, et d’incendie pour faire bonne mesure. Du caïdat de cité pur jus. Sollicité par les journalistes dans le sillage de l’émission, Kader Aoun répond par le silence
Humour halal et unicité divine
Le maffio-tribalisme dont il a fait preuve ici, s’il détonne avec la nonchalance affichée du personnage, n’est pas une surprise : dans ses rares interviews, il exalte la culture de l’honneur arabo-berbère, ou, sous couvert de citations de Pasolini, l’habitus viriliste de cité : “Il y a une éthique, et je dirais même qu'il y a une esthétique de quartier. Il y a un style des bad boys, des mauvais garçons. Il y a une insolence, il y a une beauté, il y a une manière de répondre aux flics” répond-il ainsi à Yasmine Chouaki, productrice de En sol majeur, dans l’émission du 16 juillet 2019. Une citation valant toujours mieux qu’un commentaire, je livre à ta sagacité, camarade, quelques verbatim de l’entretien.
J'aime bien œuvrer pour mes communautés, pour mes tribus. Il y a la communauté des humoristes, la communauté du Paname, la communauté de mon quartier, la communauté algérienne, il y a des communautés musulmanes, des mosquées auxquelles je contribue. (...) Et il y a la communauté française, évidemment.
Aucun de mes frères et sœurs n'avaient pris leurs papiers français, mon père n'a jamais été français, ma mère n'a jamais été française. On était dans un truc d'opposition clair.
Chuck D dit : Elvis est un héros pour la plupart des Américains mais pour moi c'est qu’une merde raciste, et j'emmerde John Wayne. Quand j'ai entendu ça, j'ai vraiment eu l'impression de voir mes grands frères.
Est-ce que les gens savent ce que c'est que le code de l'indigénat ? Est-ce que les gens savent ce que c'est que les enfumades qui ont eu lieu en Algérie ? La colonisation n'a eu aucun bienfait, c'est de la merde, et ceux qui disent le contraire sont des pourris.
Paris, c'est le monde. Moi je me sens vraiment chez moi à Paris et quand je dois aller en province, je ne me sens pas aussi français que ça.
C'est évident que Bob Marley n'est pas respecté autant que pourrait être respecté John Lennon. Mais on en a rien à foutre.
Il n'y a aucun bobo qui habite dans ma cité. (...) Les bobos ils ne sont pas du tout issus de quartiers pauvres comme moi. (...) Moi, je ne fais pas partie de cette classe sociale, tout simplement parce que chez les bobos, ils sont blancs. Ils ne traînent qu’entre Blancs, c'est un de leurs gros défauts.
Ah non, je ne suis pas blanc du tout, moi, non non !
Les bobos aiment bien boire leur rosé sur des faux tonneaux de bar du 11e, ils écoutent du Carla Bruni, ils ont leur système de valeurs esthétiques dans lesquelles je ne me reconnais absolument pas. Et c'est très bien pour eux, moi j'en ai rien à foutre !
Moi je suis musulman, donc il y a un Dieu. Dieu doit avoir des vannes de fou parce qu’il a aussi inventé l’humour.
Une vanne de Dieu ? Non, parce qu’il faudrait faire attention à ne pas blasphémer…
Non ! Non non, Dieu chez nous, c’est une entité unique. Je dis chez nous…Chez les musulmans, c’est avant tout le principe de l’unicité de Dieu. (silence)
Le ressentiment et le mépris sous-jacent perceptibles dans l’interview ne se réduisent pas au discours. Par le biais des “talents” dont il s’occupe, Aoun les met concrètement en œuvre. Voire en scène.
La sédition subventionnée
Car il officie, également, comme programmateur au Rond-point, théâtre financé par le Ministère de la culture et la mairie de Paris. En mai 2018, il y programme, dans le cadre d’une soirée carte blanche, quatre jeunes pousses de ses écuries. Objet du dispositif : faire découvrir aux Parisiens amateurs de scènes nationales toute la potentialité artistique des cités... Ouaips. Ben elle a pas du être déçue, la petite bourgeoisie de gauche abonnée au Rond-point : l’heure que dure le passage des poulains de Kader Aoun est un festival d’insultes directes et d’humiliations, d’obsession victimaire, de ressentiment haineux, d’exaltation du salafisme, comme montré en détail ici. Le silence dans la salle est pesant, le public, tout amateur de diversité qu’il fût, ne pouvant occulter la dimension aussi hostile que gratuite des propos tenus sur scène, ne pouvant non plus occulter la nullité abyssale des “artistes”.
Quelle avait donc pu être l’intention de Kader Aoun, dont l’intelligence interdit de penser qu’il ait pu trouver la moindre qualité à ces “artistes”, en les programmant au Rond-point ? En dehors d’une forme de jouissance à organiser par procuration l’humiliation des spectateurs, ces “Blancs” (qui non seulement ont payé pour venir se faire insulter, mais qui en outre, parce qu’ils sont bien éduqués, ne réagiront que par le silence), je ne vois pas. Cette haine des “Blancs” (catégorie dont on peut penser qu’elle regroupe, par delà la couleur de peau, tous ceux qui n’adhèrent pas au discours suprémaciste ethno-islamique), cette jouissance à leur cracher à la gueule, sachant qu’ils ne répondront pas, est un motif patent chez Kader Aoun. Ainsi, le 31 mars 2022, reçu par Laurent Valière sur le plateau d’Info médias pour faire la promo de la 8ème soirée du Paname comedy club, lâche-t-il benoîtement qu’à Radio France, “il n’y a que des Blancs”, ajoutant, comme un doigt d’honneur verbal brandi avec le sourire : “C’est un reproche que je suis content de faire sur Radio France”. Ben oui, on comprend bien : humilier un présentateur et la radio publique qui t’ont invité pour faire la promo de ta soirée standup, c’est vrai, ça fait toujours plaisir.
La semaine dernière, Mustapha El Atrassi n’a donc rien inventé. Il a simplement surfé avec conviction sur une vague déjà présente, petit pion parmi tant d’autres prédicateurs soi-disant humoristes, tout prêts à le remplacer lorsqu’il disparaîtra dans les limbes médiatiques. La question, par delà son cas, est la suivante : pourquoi cette vague ?