Ben le patriote et les Juifs : une révolution ?
Si le discours de Ben le patriote sur les Juifs a changé, il s'inscrit pourtant toujours dans une représentation islamique du monde et de l'Autre.
La semaine dernière, j’assistai à la conférence de Ben le patriote invité par le Keren Hayessod, organisation collectant des fonds pour Israël. J’en ai déjà rendu compte ici, de façon partielle néanmoins, ayant délibérément mis de côté les propos de Ben sur les Juifs : si je percevais bien un schmoll dans le bousin, il me manquait les éléments pour comprendre et te montrer, camarade, de quoi il retournait plus précisément. Jusqu’à ce jour béni d’avril, où je reçus d’une amie une vidéo de Lesly Abitbol, franco-israélienne, qui exprimait son incompréhension : comment Ben, qui dans le sillage du 7 octobre avait commis des vidéos et organisé des lives clairement antisémites, avait-il pu être invité par une organisation sioniste ?
Ces vidéos, je ne les avais pas vues, et pour cause : Ben les avait toutes supprimées. Or, c’était exactement l’élément qui me manquait pour définir l’impression ressentie lors de la conférence : l’intuition que, dès qu’il était question des Juifs, le discours se mettait à sonner faux, que Ben inventait devant nous, laborieusement, un narratif détaché du réel. Aujourd’hui, si le puzzle n'est pas complet (car au tableau manqueront toujours les intentions réelles de Ben, qu’il est seul à connaître et qui en l’état restent trop peu lisibles), il s’est néanmoins agrémenté de pièces essentielles (et au passage, merci à Lesly Abitbol !)
Les vidéos fantômes de Ben le patriote
Au cours de la conférence, une même interrogation fut à plusieurs reprises adressée au conférencier patriote : comment s’était opéré en lui le changement quant à la question israélienne et aux Juifs ? Quel cheminement l’avait mené à faire ce “pas de côté”, à s’éloigner à ce point du discours propalestinien antisémite qu’il avait tenu 18 mois auparavant ?
Avant d’examiner lesdites “réponses”, il convient de préciser que le public n’avait vraisemblablement pas vu les vidéos en question. Tel étant probablement ton cas, camarade, en voici quelques-unes. Dont celle-ci, où Ben reprend, après le 7 octobre, la rhétorique de Rima Hassan et de ses copains à keffieh, entre “résistants” palestiniens et occultation du massacre à vocation génocidaire commis par le Hamas et des Palestiniens le 7 octobre.
Ou celle-là, dont la première phrase, “J’en ai rien à faire de votre manifestation [contre l’antisémitisme]” annonce la couleur.
Se montrer solidaire des victimes du massacre et manifester contre l’antisémitisme, reviendrait donc, selon Ben, à “se soumettre à Netanyahou”… Réaction qui exprime ouvertement l’habitus mental arabo-musulman, selon lequel toute relation à l’autre s’inscrit avant tout dans le shéma dualiste soumission/domination. Or, la hiérarchie induite par cette vision du monde, doit, pour être “juste”, c’est-à-dire conforme à la parole d’Allah, placer le musulman au sommet et le “mécréant” à sa botte, ce dernier lui étant par nature inférieur. Hiérarchie islamo-centrée visant à réaliser l’affirmation coranique selon laquelle la Oumma constituerait la “meilleure communauté, et, du même coup, à la confirmer. Lorsque Ben considère qu’être solidaire des Juifs lorsqu’ils sont agressés, c’est “se soumettre” à eux, il réagit en musulman. Car, selon les critères islamiques, exprimer une telle solidarité constitue la négation même de l’ordre des choses établi par Allah.
Dans la vidéo, Ben doute des chiffres concernant les actes antisémites en France, chiffres qu’il met pourtant en balance avec les morts palestiniens. Démarche dépourvue de rationalité, pour deux raisons : on ne compare pas deux choses de nature différente (ici, des actes et des morts), pas plus qu’on ne le fait sur la base de données non sourcées. En se voulant strictement quantitative, chiffres contre chiffres, la démarche abolit par ailleurs la distinction qualitative entre bourreaux et victimes. Ben, fidèle aux codes rhétoriques palestinistes, recourt parallèlement à l’indispensable touche émotionnelle, via la référence aux enfants morts de Gaza, avant d’accuser les Juifs de “soutenir un état assassin et de se faire passer pour les victimes”… L’inversion victimaire, levier numero uno et passage obligé de la propagande islamique.
“[Le combat pour le vivre-ensemble] n’a plus aucun sens aujourd’hui” conclut-il l’air accablé. Voilà qui est intéressant : si on soutient les Juifs, il n’y a donc plus de “vivre-ensemble” ? Si les Français non juifs soutiennent les victimes d’antisémitisme, ce n’est donc plus “sa France” ? On comprend en creux que le” vivre-ensemble” dont Ben se repaît est, en réalité, bien celui que régit la dhimma : si les “gens du Livre” peuvent coexister, c’est à la condition expresse que le Juif, comme le chrétien, reconnaissent la supériorité de la loi islamique, qui les “protège” au prix d’un impôt spécifique, de leur infériorité socio-juridique et, s’agissant plus particulièrement des Juifs, de leur humiliation organisée.
Et par trois fois, la question fut posée. Et par trois fois, il n’y répondit point.
Mais revenons à la conférence du 24 mars, et aux réponses systématiquement à côté de la plaque de Ben lorsqu’on l’interroge sur son récent philosémitisme. S’il y a un art que le garçon maîtrise, c’est bien celui du noyage de poisson. La première fois qu’on l’interpelle à ce sujet, il répond : “C’est très compliqué… Il faut parler aux musulmans”. On ne voit pas vraiment le rapport avec le shimilibilick, mais bon, ok d’accord, la communication, c’est comme la bienveillance, ça mange pas de pain.
Evoquant ensuite, un peu gêné, ses vidéos post 7 octobre, il se dédouane, disant avoir été sous l’influence d’amis propalestiniens. Lesquels lui auraient “mis la pression”, l’obligeant à prendre position sur un conflit auquel, admet-il, il ne connaissait rien. On reconnaît bien là les méthodes de la Oumma, mais force est de constater : la question, elle est toujours pas répondue... Car botter en touche et se défausser sur ses petits camarades (leur responsabilité, pas la sienne), cela revient de fait à ne pas assumer ses discours passés.
Preuve que la réponse en effet n’en était pas une, il ne faut pas plus d’un quart d’heure pour qu’on le relance : alors Ben, pourquoi, comment, pour quelles raisons ce pas de côté ? Réponse : “Le dialogue… Discuter, connaître des familles juives, dormir chez eux, un musulman qui a été dormir chez… C’est ma sœur, c’est Yaëlle (je ne dis que son prénom), parce que j’ai vu comment ils vivaient. Les a priori sur les Juifs, mais ça a toujours été. (Il prend un ton ironique, montrant qu’il n’adhère pas à ce discours) Les Juifs dominent le monde ! Ça n'existe pas, un Juif qui fait la cuisine, ils dictent le monde, ce sont des méchants ! Je ne connaissais pas de Juifs, alors je croyais tout ça.”
Alors là, c’est carrément rigolo, parce qu’il y a un an et demi, il tenait, et avec grande conviction, exactement les propos qu’il dénonce ici : “C’est pas Israël bis, la France ?” demandait-il dans la vidéo ci-dessous, datée de décembre 2023. “On voit qui est au pouvoir dans ce pays…” poursuivait-il d’un ait entendu. Soit le complot juif mondial version muslim.
Mais bon, foin du passé. Ben, comme il le dit, a changé, au point qu’il a désormais une amie juive chez laquelle il lui est arrivé de dormir : l’évocation de Yaëlle, sa “soeur”, (comme la France est “sa mère”) laisse un peu dubitatif : d’où sort-elle, comment l’a t-il rencontrée, comment a-t-il pu dormir chez elle, lui le musulman marié ?
Décidément, le public sent bien que, sur la question juive, ça achoppe. Un quart d’heure plus tard, pile comme un métronome, le sujet ressurgit : comment désamorcer la haine des Juifs ? lui demande-t-on. Solution proposée par Ben, qui fleure bon son “vivre-ensemble” à pas cher : “le dialogue” (ah ben oui, c’est vrai ça, je suis con…) Après quoi, il embraye sur la police à qui, vraiment, on manque de respect dans ce pays (et ça, c’est pas bien). Certes certes, jeune patriote, mais ce n’était pas du tout le sujet… Une fois de plus, Ben répond à une autre question que celle qui lui a été posée.
Lorsqu’on l’interroge sur le fait qu’il ait accepté l’invitation du Keren Hayessod, il établit, apparemment inconscient de la dimension révélatrice de son propos, une analogie pour le moins hasardeuse : “Moi demain, les frères musulmans m’invitent, j’y vais, je veux débattre avec eux. (…) J’ai débattu avec Othman, un religieux avec une grosse barbe, et oui, c’est parti en live mais au moins les gens ont vu qui c’était, ce qu’il prônait et ils ont pu juger par eux-mêmes”
Si on se fie à l’analogie, l’équivalence parle d’elle-même : le sioniste serait donc le pendant juif du fréro-salafiste… Et lui, Ben, ne serait pas tant venu au Keren Hayessod pour “dialoguer” que pour montrer à quel point les sionistes, à l’instar d’Othman-le-barbu, étaient des gens dangereux…
Où on apprend plus sur Gaëlle, euh, Yaëlle…(enfin bref, sur l’amie juive)
Le public ne lâche pas l’affaire, l’interrogeant encore une fois sur son “pas de côté”. S’il veut éviter une quatrième occurrence, il va devoir lâcher un peu de biscuit. Ainsi fut fait : “Je faisais des débats Tiktok, j’étais propalestinien, et une fille qui s’appelle Gaëlle et qui habite à Cannes montait sur mes lives. J’étais totalement d’accord avec tout ce qu’elle disait, et à un moment, elle me dit qu’elle est juive.”
Euh… Concrètement, on a du mal à visualiser : Gaëlle, juive, appréciait ses lives antisémites ???? Admettons… Après tout, l’Union juive française pour la paix existe, tout comme cette frange gauchiste qui, sous couvert de pacifisme, cultive un évident tropisme dhimmi.
Ben poursuit : “On a commencé à débattre, on a parlé en off, et petit à petit, je me suis intéressé, j’ai commencé à connaître de plus en plus de Juifs. Quand vous êtes face à face, ça change tout. Il y a du fantasme envers les Juifs, mais quand on parle, quand j’ai dormi chez Yaëlle qui est mon amie, ma soeur… C’est cet amour-là qui fait qu’on change et qu’on se remet en question.” Le glissement phonétique de Gaëlle à Yaëlle, la dimension très improbable de ce qu’il raconte au regard des us et coutumes islamiques (lui, musulman marié, évoquant publiquement son “amour” pour une femme, juive qui plus est, et le fait qu’il ait dormi chez elle ? Hum hum…), le ton embarrassé qui est le sien lorsqu’il parle de ce sujet précis, sa réticence réitérée à répondre laissent planer le doute quant à la réalité de ce qu’il raconte.
Sur le chemin de Damas de Ben, il y a donc eu Gaëlle-Yaëlle, mais aussi, dit-il, des lectures, des vidéos “de quatre heures” qui lui ont ouvert les yeux sur le conflit israelo-arabe. Bon, bien. Sauf que, gros malaise, il apparaît au détour des échanges que Ben ignore le sens du mot “sioniste”. Ce n’est pas étonnant, puisque dans son univers social et mental, le terme est utilisé comme synonyme insultant de “Juif”. Pris en défaut, et plus ou moins en flagrant délit de pipeautage, il bafouille : “J’ai eu euh, un rabbin, euh, enfin, euh, bon, un Juif qui m’a expliqué plein de choses et j’ai compris, tous les Juifs ne sont pas sionistes”. Ben s’est bien documenté, donc.
Déso pas déso
On me dira, et Ben le premier, qu’il s’est expliqué de ses propos passés et qu’à ce titre, la page est tournée. “S’expliquer”, tel est le terme utilisé par Ben. Pas “s’excuser”, pas “demander pardon”, pas “regretter”. Ici, la vidéo par laquelle il annonce son philosémitisme nouveau.
Fidèle à son credo de coexistence pacifique entre les communautés juive, chrétienne et musulmane (les seules qu’il reconnaisse), Ben commence par souhaiter une bonne fête de Pourim aux “Juifs de France et du monde entier”. S’ensuit le petit refrain interreligieux habituel, le calendrier lunaire ayant cette année-là opportunément fait coïncider Pourim, Carême et Ramadan. Quand la temporalité elle-même se met au vivre-ensemble, oulalacétrobo !
Comme il n’en est pas à un paradoxe près, Ben condamne ensuite… le communautarisme. Le problème, c’est que le sens de certains termes lui échappe, à cause du logiciel islamique qui définit sa vision du monde. Ainsi, le communautarisme pour lui ne consiste-t-il pas à raisonner en termes de communautés (ce qu’il fait), mais à refuser le “dialogue” intercommunautaire (donc interreligieux, dans sa logique). En réalité, comme je l’ai montré la semaine dernière, le monde se divise pour lui en communautés définies ethno-religieusement, dont il s’agit de réguler les relations.
Peut-être Ben est-il sincère dans son désir de “vivre-ensemble”. Mais ce qui pose problème, par delà ses intentions, c’est son incapacité à comprendre l’universalisme occidental, à saisir l’individu comme sujet, par nature doué de libre-arbitre. Le système de représentations qui définit l’islam n’est pas compatible avec celui qui a donné naissance à l’Occident, précisément parce que l’islam abolit la liberté qui définit la conscience, faisant de l’homme “l’esclave d’Allah”. Une créature dont l’humanité est proportionnelle à la terreur qu’il éprouve envers son créateur, et à sa soumission à ce dernier. Cette contradiction fondamentale entre islam et Occident, qui porte sur ce qu’est un être humain, s’exprime aussi, dans le discours de Ben, par sa visible incompréhension de ce qu’est la responsabilité morale, et, partant, du repentir.
Dans sa vidéo d’excuse en effet, il appelle à l’apaisement, puis s’adresse à “certains Juifs”, en l’occurrence à ceux qui ont rappelé ses propos post 7 octobre : “Je vais pas me soumettre à vous, leur dit-il d’un air comminatoire, je vais pas vous lécher les pieds”. Pour le repentir, on repassera. Car le repentir implique de se mettre en situation de vulnérabilité, adressant à celui qu’on a offensé une demande qu’il peut refuser. Le repentir autrement dit implique l’humilité, c’est-à-dire le fait de reconnaître sa faiblesse et ses fautes. Dispositif en effet impensable pour un musulman, qui y verra une atteinte insupportable à son être, en ce que cela remet en cause la position dominante et dominatrice que lui attribue ontologiquement l’islam.